Des jeunes se prélassent dans un parc. Image d'illustration. (RICHARD B. LEVINE/NEWSCOM/SIPA)
Ma fille est en première S dans une cité scolaire qui compte 1000 collégiens et lycéens. Elle est en section européenne et en ce moment même, elle est en voyage de classe en Norvège, accompagnée par deux professeurs de son établissement.
Elle a de la chance. Les autres élèves en ont moins. Pendant cette absence, ils n’ont pas de professeurs remplaçants. Ils sont donc privés de précieuses heures de cours. Si seulement cette situation n’arrivait qu’en cas de voyage scolaire… Mais ce n’est pas le cas.
Une situation alarmante
20.000 journées de classe ont été manquées en primaire et en secondaire depuis la rentrée 2015 en France. Ces estimations, faites par la FCPE (première fédération de parents d'élèves), sont choquantes. Pourtant, elles sont très en deçà de la réalité.
Pour qu’une journée d’absence soit comptabilisée, il faut qu’un parent d’élève la signale à la fédération. Ce que nous ne faisons évidemment pas tous ni à chaque fois. Selon moi, beaucoup d'absences restent non déclarées.
La situation est alarmante. Les professeurs sont de moins en moins remplacés. On en arrive à des absences prolongées aberrantes et lourdes de conséquences. J’ai déjà vu une classe de collège privée de professeur de français pendant toute une année. Pourtant, ce n’est pas une matière dont peuvent se passer les jeunes collégiens.
Deux semaines d’absence minimum
Ce qu’il faut savoir, c’est que pour pouvoir demander un professeur remplaçant au rectorat, il faut que le professeur absent le soit depuis plus de deux semaines. Avant 15 jours d’absence, impossible de demander un remplacement.
Le problème que nous avons eu à la cité scolaire est donc courant : un professeur de philosophie n’a pas pu assurer ses cours pendant une première semaine d’arrêt maladie, qu’il a fait prolonger pendant encore une semaine, puis encore une semaine sans ne jamais être remplacé. Pourtant, la philosophie en terminale, ce n’est pas une option !
Même dans des situations moins extrêmes, ce système de cinq jours d’absence minimum est particulièrement handicapant.
En période de grippe hivernale par exemple, les profs ne sont pas remplacés et les élèves perdent beaucoup d’heures de cours. Même des absences prévisibles comme les congés maternité ne sont pas toujours anticipées. Dommageable dans un secteur qui est composé à 70% de femmes.
Au final, les élèves loupent beaucoup plus d’heures de cours à cause de cette situation que par leurs propres absences. Ce n’est pas normal.
Crise des vocations
La faute ne revient pas aux professeurs. Leur métier, si souvent critiqué, est extrêmement difficile. Psychologiquement, il y en a beaucoup qui ne tiennent pas l’année. Ils sont donc obligés de se mettre en congé maladie pour se remettre d’un burn out ou d’une dépression. Congé qu’aucun autre professeur ne peut combler.
Au-delà du délai d’une semaine, l’autre problème est le manque de professeurs remplaçants. Nous souffrons aujourd’hui des décisions prises à l’époque de Sarkozy et d’un manque de vocation. Les candidats aux postes professeurs sont de moins en moins nombreux. Il faut dire que le manque de reconnaissance et la faible rémunération peuvent refroidir les plus enthousiastes.
Ces temps-ci, je vois de jeunes professeurs très motivés s’essouffler en quelques années à peine. Au bout de cinq ans, dépités, ils entament une reconversion. Qui pourrait leur en vouloir ?
Le problème est d’autant plus grand pour les petites villes de province comme la nôtre. Les professeurs remplaçants se font rares et ceux qui sont prêts à travailler refusent de faire 70 km aller-retour pour aller donner deux heures de cours, sans indemnité de déplacement.
Mon voisin joggeur, bientôt prof de sport ?
Il n’empêche que ni le rectorat ni l’Éducation nationale n’ont aujourd’hui de solution. Alors nous, parents et membres de la FCPE, nous bricolons comme nous pouvons. C’est comme ça que dans la cité scolaire de ma fille, nous avons trouvé une Australienne bilingue, sans le diplôme requis, pour remplacer la prof d’anglais.
Nous ne voulons pas rester sans rien faire mais, en même temps, nous savons que ce ne sont pas des situations durables. Si l’on commence ainsi, mon voisin adepte du jogging sera bientôt prof de sport…
En même temps, je préfère que les enfants soient en train de parler anglais avec une personne bilingue plutôt que de traîner dans le parc en face du lycée parce qu’il "n’y a pas cours". Ce "Il n’y a pas de prof aujourd’hui" auquel parents comme élèves se sont habitués. Il ne passe pas une semaine sans qu’une heure saute dans chaque classe.
Non, l’école n’est pas égalitaire
Ce qui nous inquiète le plus, c’est l’inégalité de traitement entre les élèves. A la fin du collège et du lycée, tous les jeunes français scolarisés passent le même examen national. Pourtant, tous n’auront pas reçu le même enseignement au cours de l’année.
Comment l’école publique qui se veut égalitaire peut-elle encore affirmer donner les mêmes chances à tous les élèves, alors que certains bénéficient de cours de philosophie en terminale tandis que leurs voisins se contentent de balades bucoliques au mois de novembre ?
C’est contre cette injustice que nous nous battons aujourd’hui. Et à ceux qui disent que le bac est devenu aussi simple qu’une devinette Carambar, je les mets au défi de le (re)passer. Non, le bac ne se passe pas plus les yeux fermés en 2016 qu’en 1975.
Sans préparation et sans professeur, il est difficile de s’en sortir. Certains enfants bricolent en se servant de leur manuel scolaire et d’internet, voire des cours particuliers. Ce qui n'est pas à la portée de toutes les bourses.
Père d’une lycéenne, je vois la quantité de travail imposée aux élèves et les moyens qu’on leur donne pour réussir. Avec le recul, je me sens plutôt chanceux d’avoir été lycéen avant les années 2000.
Propos recueillis par Barbara Krief.